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Pensées, langages et actes.

La pensée n’existe pas indépendamment du langage et le langage n’existe pas indépendamment de la pensée. Les deux se développent parallèlement et modèlent nos actes. Il est nécessaire de remettre en question notre système linguistique et notre champ lexical au même titre que nous remettons en question notre système de pensée et nos actes. Cet article en est un bref essai.

Le langage courant comporte beaucoup de vocabulaire ou expressions dénigrant et rabaissant les animaux et les femmes (entre autres), dans le but d’humilier ou d’insulter la personne visée. Car dans cette société patriarcale et anthropocentriste, les droits et intérêts des animaux et des femmes (entre autres) ne sont pas considérés et il est mal accepté d’être identifié-e à elles et eux. Il n’y a aucune justification à penser qu’être comparé·e à un autre animal, quel·le qu’il ou elle soit, puisse être insultant ou humiliant, donc aucune justification de l’exprimer par le langage. La liberté d’expression des un·e·s s’arrêtent à l’intégrité physique et morale des autres.

L’humanisme a mis de la distance entre les animaux humains et les autres animaux, partant du principe que les intérêts des premiers prévalent sur les intérêts des seconds. Mais les animaux humains, quoiqu’ils aient construit socialement (sociétés humaines) au delà des similitudes biologiques et cognitives avec les autres animaux ne justifie pas de bafouer leurs droits fondamentaux naturels. Les humains sont des animaux. Aucune croyance anthropocentriste ne peut remettre cela en question. Nous pensons qu’il est nécessaire de le rappeler en utilisant les termes « animaux humains » et « autres animaux« , ou simplement « animaux« .

Les lobbys agro-alimentaires ont bien compris la puissance du langage à réduire ou élargir le champ des pensées (tout comme la puissance de la pensée peut réduire ou élargir le champ lexical) et l’importance de cette distance, qu’ils ont déjà traduit par le fait d’isoler les abattoirs et d’en faire des lieux quasiment inaccessibles. Populariser un terme comme « viande » pour décrire la chair des animaux que l’on ingère permet leur objectivation par cette distance qu’elle impose entre l’animal vivant et l’animal mort chez les distributeurs et dans l’assiette. La « viande » est alors considérée comme de la nourriture, vidée de toute incarnation précédent ce morceau de chair inanimé, on occulte l’animal vivant et ayant subi un préjudice énorme et moralement inacceptable ; on parle alors de référent absent¹. Sans cette distance savamment orchestrée , il pourrait sembler plus difficile de laisser place au déni, à l’indifférence et à la déculpabilisation générale ; si tout le monde utilisait les mots adéquats selon une vérité objective (ex : chair animale, cadavre…).

Utiliser et propager ce langage entretient et renforce la non-reconnaissance des droits des animaux et des femmes à ne pas subir de préjudices. Cela sert en parallèle à fabriquer du consentement pour l’exploitation animale en ne la nommant pas pour ce qu’elle est dans une réalité objective.

Mais heureusement, on peut faire autrement ! 

Vocabulaire & expressions

  • Ne pas s’approprier le vocabulaire utilisé par les exploitueurs et ceux qui les soutiennent. Les termes comme « viande », « poulet », « porc », « volaille », « bétail », « bœuf », « gibier » etc. servent comme dit plus haut à mettre de la distance entre la victime et le « produit » et ainsi « améliorer » la réalité en la rendant plus confortable. Certains termes sont issus de la domestication et de la stérilisation ou non de ces animaux. Ces termes sont volontairement vagues, nous ne savons pas pour certains quel animal réel se cache sous ces appellations. Certains termes sont aussi non-quantifiables, ce qui est un moyen de plus d’objectiver les sujets ; on parle également d’article partitif quand il s’agit d’employer le déterminant indéfini « du ».

« Le singulier se combine avec un nom massif1 pour désigner généralement un inanimé (du sable). S’il désigne un animé (un animal plus qu’un humain), il transforme celui-ci en matière consommable : « du » poisson, « du » bœuf, « du » veau, etc. » Wikipédia – article partitif

Les animaux n’étant pas de la matière consommable mais des êtres sentients, le « du » est à bannir et à remplacer par des, les, le, la, un, une ou au/x (ex : du  des poissons, du une bœuf vache…)

On peut s’exprimer d’une autre façon en utilisant le vocabulaire qui correspond à une vérité objective ou à des animaux existants comme chair animale, cadavre, poule, coq, dinde, oie, canard, cochon, vache, chevreuil, biche, etc.

  • Préciser lait maternel ou lait végétal.
  • Bannir les adjectifs possessifs tels que : mon, ton, son, ma, ta, sa, mes, tes, ses, mien/s, tien/s, sien/s, notre/nos, votre/vos, leur/s ou le vocabulaire tel que « propriétaire » ou« maître » car il renforce le statut de « bien » et de « propriété » des animaux et la négation de leurs droits fondamentaux comme celui de disposer de leur corps pour eux-mêmes. La même considération n’est pas valable pour les proches ou membres d’une même famille d’animaux humains, qui ont des droits fondamentaux reconnus, ou pour les enfants qui sont éduqués dans le but d’être autonomes contrairement aux animaux qui sont éduqués dans le but d’être asservis.

On peut s’exprimer d’une autre façon en disant « l’animal qui vit avec moi » ou en le nommant, et « responsable de ».

  • Bannir les surnoms infantilisant et objectivant les autres animaux tels que « loulou », « lapinou », « minou », « minet » ou « toutou » (il y en a d’autres). Les animaux dits « de compagnie » ont un nom, autant l’utiliser. Bannir également les termes affectueux envers des proches : lapin, chat·te, chaton, biche, etc.

On peut s’exprimer d’une autre façon en utilisant le nom (si on lui en a attribué un) ou la désignation de l’animal, humain ou non, pour parler de lui ou d’elle.

  • Bannir les expressions anthropocentristes telles que « faire de l’équitation », « monter à cheval », « faire de l’agility », « faire du chameau », etc. qui impliquent uniquement une action humaine tout en occultant l’animal concerné dans l’action et en le niant en tant qu’être sentient.

On peut s’exprimer d’une autre façon en en employant les termes exacts :  « s’asseoir sur un animal », « dresser un animal », etc.

  • Bannir le vocabulaire servant à caractériser les animaux humains ou leurs comportements par le nom des autres animaux -qui renforce généralement un système misogyne, raciste, capacitiste, etc. tel que : porc, cochon-ne, truie, dinde, poule, cocotte, poulette, pigeon, canard, chien·ne, chatte, étalon, poulain, pouliche, crevette, escargot, limace, tortue, morue, thon, âne, mouton, bœuf, bécasse, vautour, buse, charognard, vipère, requin, chacal, vache, baleine, gazelle, biche, tigresse, lionne, hyène, blaireau, fouine, souris, rat, bête, mufle, bull dog, pit bull, meugler, aboyer, rugir, jacter, piailler, ruer, pondre, etc.

L’égale considération de tous les animaux ne doit pas être biaisée par les constructions identitaires attribuées arbitrairement aux autres animaux via le prisme anthropocentriste (anthropomorphisme).

  • Bannir les expressions servant à caractériser les animaux humains ou leurs comportements ou décrire des situations en attribuant des codes sociaux anthropocentristes aux autres animaux telles que : temps de chien, caractère de chien, vie de chien, traiter comme un chien, c’est pas fait pour les chiens, une faim de loup, hurler/crier au loup, l’homme est un loup pour l’homme, le loup dans la bergerie, doux comme un agneau, QI d’huître/moule, mémoire de poisson rouge, mémoire d’éléphant, yeux de merlan frit, serré·e·s comme des sardine, comme un poisson dans l’eau, devenir chèvre, tête de mule, têtu·e comme un·e âne/mule, âne bâté, chargé·e comme un·e âne/mule, avoir d’autres chats à fouetter, chaud lapin, bête de sexe, cervelle de moineau, tête de linotte, monter sur ses grands chevaux, manger du lion, gueuler comme un putois, fait comme un rat, mettre la charrue avant les bœufs, peau de vache, vache à lait, prendre le taureau par les cornes, vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuer, dindon de la farce, poule mouillée, faire le coq, fière comme un coq/paon, qui vole un œuf vole un bœuf, sale bête, avoir le bourdon/cafard, etc.

Certain·e·s termes et expressions cité·e·s plus haut visent non seulement à dénigrer les animaux, mais aussi les femmes. D’autres termes misogynes sans rapport avec les animaux sont aussi à proscrire.

  • Le mot « con » désigne une vulve, et donc renvoie à l’appareil génital des femelles et est à bannir si c’est pour s’en servir d’insulte misogyne, mais peut-être utilisé pour sa propre définition. Tous ses dérivés (conne, connard, connasse, connerie, déconner) sont à bannir. Le mot « hystérie » est à bannir car il renvoie à l’utérus, et à la « folie » des femmes. Il existe tout un panel d’autres jolis mots utilisés envers les femmes que nous ne prendrons pas la peine de détailler ici-même mais qui sont à bannir également, « harpie » et « furie » en sont des échantillons.

La misogynie prend source et perdure dans notre façon d’écrire et de parler. Le masculin est le référent «universel» et rend invisible la moitié de la population.

  • Le langage (oral ou écrit) non-sexiste est à utiliser et promouvoir, autant que faire se peut. Ainsi, on replace les femmes dans le langage en ne laissant pas le masculin universel l’emporter en préférant par exemple les termes autrice, écrivaine, cheffe, etc. à leurs synonymes masculins. Un article intéressant ici.
  • Bannir les expressions discriminantes envers les personnes en situation de handicap telles que « langage de sourds », « sourd-e à toute discussion », « conversation stérile », etc. Comprendre est différent de voir ou entendre. Il n’y a aucune justification à utiliser une différence pour rabaisser autrui.

Même s’il peut sembler difficile de mettre en place un langage totalement non-discriminant, il nous apparaît important de réfléchir sérieusement à ces questions. Si on admet que le langage influe sur la pensée et vice-versa, alors il est urgent d’y prêter une attention particulière. Les mots sont importants.

  1. Politique sexuelle de la viande – Carol J. Adams.

15 réflexions au sujet de “Pensées, langages et actes.”

  1. Oui, et ce langage « naturellement » discriminant est tellement ancré dans la corporéité qu’il nécessite un gros effort de conscience pour ne pas être dépassé par ces mots qui sont un habitus depuis des lustres hélas… d’où aussi l’importance d’éduquer les jeunes générations à la pensée éthique.
    Bonne journée.
    M.

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  2. Bonjour, après cet article me vient une question : la plupart des expressions ou termes à utiliser dorénavant semblent binaires – opposition masculin / féminin comme par exemple un auteur ou une autrice. Je me demandais donc s’il ne serait pas préférable d’utiliser des termes neutres puisque certaines personnes ne se reconnaissent ni dans le masculin, ni dans le féminin? J’ai déjà eu l’occasion de voir ces termes, iel à la place de il / elle notamment.
    Bon article, soit dit en passant.

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  3. Bonjour, merci pour ton commentaire. J’ai choisi volontairement de ne pas utiliser une écriture « inclusive » et préféré l’écriture non-sexiste pour rendre de l’espace aux femmes. Le féminisme n’a pas à être inclusif, si ce n’est parce que l’on a conditionné les femmes à penser aux autres avant elles-mêmes, jusque dans leur propre combat.

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  4. Ne pas utiliser des mots comme harpie ou furie ni d’expressions contenant des noms animaux je trouve que c’est bafouer l’imagination, la mythologie.. mais c’est mon idée. Je trouve que ca va trop loin.

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    1. Tu peux les utiliser mais pour désigner ce qu’ils désignent pas pour insulter les animaux-humains ou précisément les femmes. Si tu penses que combattre la misogynie et l’anthropocentrisme c’est « aller trop loin » c’est une autre histoire…

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  5. Bonsoir,
    Merci pour cet article. J’ai une interrogation, ou plutôt un souci auquel je ne sais comment répondre : lorsque je demande à mon copain de ne pas utiliser « con » (et ses dérivés) pour insulter, il me rétorque que cela n’a pas de sens, car beaucoup de personnes utilisent ces termes sans en connaître l’étymologie. Je ne suis pas d’accord, mais je ne sais que lui dire. Quels autres termes utiliser ? (Il dit que « bite » revient à faire pareil que pour « con » et trouve ça ridicule, et j’avoue que j’ai moi-même du mal à trouver d’autres synonymes non discriminants)
    Bonne soirée

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    1. Bonsoir, merci pour votre lecture. J’utilise « nul » ou « nase » dans ces cas là. Et les hommes ne subissent pas de discrimination parce qu’ils sont des hommes contrairement aux femmes, donc cela ne revient pas au même pour l’utilisation du terme « bite ». Bonne soirée.

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  6. A propos de : « Bannir les surnoms infantilisant et objectivant les autres animaux tels que « loulou », « lapinou », « minou », « minet » ou « toutou » (il y en a d’autres). Les animaux dits « de compagnie » ont un nom, autant l’utiliser. Bannir également les termes affectueux envers des proches : lapin, chat·te, chaton, biche, etc. »

    Je suis d’accord avec le reste de l’article et je fais sans cesse de mon mieux pour avoir ce vocabulaire.

    Par contre, je sèche sur le passage cité au-dessus.
    Je ne vois pas en quoi c’est infantilisant et objectivant d’appeler un animal « loulou », « minou »… C’est des termes affectueux selon moi. Et quand on vit avec un animal depuis des années, même si je ne recherche pas sa compagnie, c’est pas pour autant que je ne développe pas de l’affection.
    J’appelle mon père « papounet », cela rejoint pour moi la construction en -ou et -et des surnoms donnés aux animaux. Et je vois pas en quoi c’est préjudiciable. J’aimerais bien connaître le raisonnement là-dessus. ^^.
    Les humain.e.s ont aussi un nom, pas pour autant que des fois, on leur donne pas un petit surnom.

    Je ne vois pas non plus pourquoi il faudrait aussi bannir les termes affectueux envers des proches. En quoi c’est dévalorisant ou/et préjudiciable pour les animaux ?

    Merci.

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    1. Salut et merci pour ton commentaire ! Le terme « toutou » par exemple à la place de chien est un terme objectivant et infantilisant. C’est un terme qui exprime une relation dominante et renvoie l’animal à ce que l’homme veut de lui : une chose docile et affectueuse et surtout dépendante (un peu comme les femmes) et si le terme réfère à un autre animal, c’est objectivant pour lui aussi. L’affection ne justifie rien surtout qu’elle est souvent la justification de la domination.

      Appeler son père « papounet » est une chose totalement différente, d’abord parce que un père fait partie de la classe biologique dominante sexe et espèce confondues et que globalement les hommes ne sont pas marginalisés pour être des pères. Les humains ont un statut juridique qui leur garantit « normalement » des droits. C’est préjudiciable à partir du moment ou ces termes sont issus des individus sous notre domination dont les intérêts ne sont pas reconnus (les animaux, donc pas de souci pour papounet) Il n’y a pas de problème à donner des surnoms aux humains tant que ça n’a pas de rapport avec les animaux et il n’y a pas à bannir les termes affectueux pour les proches tant qu’ils ne concernent pas les animaux qui eux ne reçoivent pas cette « affection »(bien au contraire)

      En gros, ne pas réifier les animaux en les utilisant comme termes affectueux/surnoms et ne pas utiliser des termes infantilisant envers eux. La domestication n’est jamais acquise, elle s’alimente tous les jours.

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      1. Merci pour la réponse.

        J’ai regardé les dictionnaires à la suite de tout ça, et tout ce qui pourrait se rattacher à votre argumentaire, c’est que des fois, avec d’un côte l’affection ressort une autre définition « personne très docile » pour le « toutou ». Mais ce qui ressort le plus des définitions, c’est l’affection. Pour le « minou », il n’y a qu’affection.
        Et je trouve dommage d’enlever des termes du vocabulaire parce que dans certains dictionnaires, ça parle de docilité (mais pas que).
        Surtout que je ne pourrais pas nier que les animaux sont dociles à force de sélection pour prendre les animaux au caractère le plus docile. Ce n’est pas pour autant que je veux en profiter.

        Je suis toujours pas convaincue et je ne vois toujours pas comment vous passez de  » Le terme « toutou » par exemple à la place de chien […….] (à) est un terme objectivant et infantilisant »
        Tant pis ^^.

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      2. Tout comme il y a des termes infantilisant pour les femmes. Un toutou est une construction anthropocentriste de ce qu’est un chien. la culture ne peut pas remplacer la nature. Accepter d’appeler un animal par un mot qui ne réfère à rien hormis la domination des humains et qui est de plus également utilisé péjorativement nuit à la considération que l’on porte aux animaux.

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