Animaux, Femmes, Veganisme

LE LIEN ENTRE VEGANISME ET FEMINISME

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La plupart des féministes ignorent la violence sexuelle concernant autres animaux depuis trop longtemps.

Article original ici – Traduction par Radfem Resistance disponible aussi ici.

« L’histoire de notre espèce est, dans l’ensemble, une histoire de domination masculine. La subordination des femmes, et leur réduction à leur fonction de reproduction, a été une telle constante qu’elle peut paraître en quelque sorte normale et juste, alors que le renversement des vieux rôles semble provoquer un immense chaos. »

The Means of Reproduction, Michelle Goldberg

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Le succès de l’élevage et de l’industrie animale dépend du contrôle et de l’exploitation massives du système reproductif femelle. Sans la capacité de reproduire à la demande, les industries de la viande, de la vivisection, de la fourrure, des produits laitiers et des œufs ne pourraient jamais exister. Ces industries sont un produit du patriarcat, et le féminisme qui cherche à atteindre l’autonomie reproductive et corporelle ne peut pas continuer à ignorer les milliards de femelles qui sont violées, mutilées, torturées et assassinées chaque année.

Dans « The Means of Reproduction », Michelle Goldberg explique comment le contrôle de la capacité de reproduction des femmes a été une question politique internationale majeure, et comment celui qui contrôle la reproduction contrôle à terme le monde. La capacité de donner la vie à volonté signifie la capacité de contrôler la taille de la population, les armées futures, la main-d’œuvre et l’économie d’États-nations entiers. Ce pouvoir a été enlevé aux femmes sous le patriarcat par la force. Les hommes ont fait de même avec les femelles non humaines, utilisant leur capacité de reproduction pour leur propre pouvoir et contrôle planétaires.

Les féministes ont depuis longtemps reconnu le rôle de la coercition, du viol et de la sexualisation dans l’assujettissement des femmes. Cette compréhension est considérée comme fondamentale. Janice Raymond écrit dans « Women as Wombs », que « Dans l’économie spermatique du sexe et de la reproduction, la femme existe pour le sexe. Elle existe aussi pour tomber enceinte et se reproduire… Il n’y a qu’une courte distance entre la baise et la reproduction dans le schéma patriarcal ».

Elle soutient que le corps femelle est au cœur de ça, et que la récupération de l’autonomie corporelle féminine est essentielle à la libération des femmes :

« Les femmes en tant que classe ont intérêt à récupérer le corps femelle, non pas en tant que nature féminine, mais en refusant d’en céder le contrôle aux hommes… »

Les femmes sont rabaissées au rang d’objet pour justifier l’abus de leur corps et l’autonomie nous est volée. De même, les animaux non humains sont considérés comme des objets pour justifier leur oppression. Bien que les humains aient évolué pour avoir une intelligence particulière, l’intelligence n’est guère pertinente dans un cadre moral sérieux ; sinon, nous serions en mesure de justifier le meurtre d’enfants humains de trois ans, qui sont à peu près aussi intelligents qu’un cochon. Au contraire, le meurtre d’un enfant (malgré son manque relatif d’intelligence) est souvent considéré comme un délit bien pire. De même, la maltraitance des patients handicapés mentaux est considérée comme particulièrement odieuse précisément parce que ces personnes n’ont pas le pouvoir de résister de manière significative à certaines formes de violence. L’objectivation est donc nécessaire pour excuser la violence et l’exploitation dont sont victimes les femmes et les animaux non humains, en les considérant comme moins que rien.

Dans son classique révolutionnaire, « La politique sexuelle de la viande », la théologienne féministe Carol J. Adams documente avec d’insupportables détails la façon dont les femmes et les animaux sont réifiées pour la consommation des hommes – qu’elle soit physique ou métaphorique :

« Je propose l’idée d’un cycle de réification, de fragmentation et de consommation, qui relie le dépeçage et violence sexuelle dans notre culture. La réification permet à un oppresseur de percevoir un autre être vivant comme une chose. L’oppresseur profane ensuite cet être vivant en lui faisant subir un traitement semblable à celui réservé à un objet, par exemple le viol des femmes qui leur enlève la liberté de dire non, ou la mise à mort d’animaux, qui les transforme d’êtres vivants qui respirent en objets morts. Ce processus rend possible la fragmentation ou le démembrement brutal, puis finalement la consommation. »

Elle souligne que lorsque les femmes décrivent leurs expériences de violence masculine, nous avons souvent recours à des descriptions de la façon dont les animaux non humains sont traités. Dans son livre Pornographie : Men Possessing Women, Andrea Dworkin fait exactement cela en soulignant l’hypocrisie de la gauche dans son acceptation de la pornographie : « Le capitalisme n’est pas malsain ou cruel quand le travailleur aliéné est un morceau de viande féminin », dit-elle.

Les animaux non humains sont également traités comme un « morceau de viande », pour être ensuite utilisés et consommés par les hommes, malgré le fait qu’ils soient des individus sensibles capables de ressentir la douleur et de souffrir comme les humains. Cela est vrai non seulement pour les animaux élevés pour l’alimentation, qui deviendront littéralement des « morceaux de viande », mais aussi pour les femelles dans toute industrie animale, où l’insémination artificielle par viol, la grossesse forcée et le vol de l’enfant sont tout bonnement une partie du business.

Ayant travaillé comme vivisectrice, j’ai une expérience directe de la façon dont le corps des femmes est considéré. Dans « Invisible Women: Data Vias in a World Designed for Men », Caroline Criado Perez explique comment presque toutes les expériences médicales « non genrées » sont menées sur des corps entièrement ou essentiellement masculins. Ceci est le résultat d’une autre forme de sexisme : le postulat du masculin par défaut, et l’idée que les corps féminins fonctionneront forcément de la même façon que les corps masculins. Si ce n’est pas le cas, c’est bien sûr la faute de la femme. Cela vaut tant pour la recherche humaine que pour les études non humaines. Les femelles sont jugées trop « complexes » à étudier en raison de leurs cycles hormonaux, sans tenir compte du fait que ces mêmes cycles ont de réelles implications pour la santé.

Le résultat de ce sexisme médical est que les animaux femelles dans les laboratoires ne sont rien d’autre que des machines à fabriquer des bébés, ou des partenaires sexuelles utilisées pour stimuler l’agressivité des mâles. Dans le laboratoire où je travaillais, les rats femelles étaient forcés de s’accoupler avec un mâle (pas de leur choix) et étaient placées dans des « boîtes à chaussures » d’une trentaine de centimètres de long avec le mâle où elle n’a aucun moyen d’échapper ou de se mettre à l’abri de ses fréquentes et violentes avances. Si elle ne parvenait pas à tomber enceinte dans les délais appropriés, elle était considérée comme inutile, et elle était donc tuée (ou « euthanasiée », comme nous l’appelions par euphémisme).

Après l’accouchement de la femelle, ses bébés lui étaient enlevés dans le cadre d’un « protocole de séparation maternelle ». Le but de ce protocole était de simuler les traumatismes de la petite enfance afin d’étudier les effets que la négligence de l’enfant peut avoir sur les agressions futures.

L’impact de cette cruelle recherche sur les mères a cependant été largement ignoré. J’ai mené la première étude sur l’impact de ce protocole de séparation des mères sur les femelles – et les résultats ont été effroyables. Les femelles à qui on a retiré leurs bébés ont montré des niveaux d’anxiété, de stress, de dépression et de tendance à la dépendance nettement plus élevés. Sachant cela, j’ai entrepris de trouver un moyen d’améliorer la qualité de vie des rats femelles en leur offrant des « aliments réconfortants » tels que des milk-shakes au chocolat et des en-cas au fromage. Toutefois, la réalité de leur situation m’a frappée, et j’ai réalisé qu’aucune quantité de friandises ne pouvait vraiment soulager leur douleur. J’ai quitté mon poste au laboratoire sans même publier mes résultats. Je fais encore des cauchemars dans lesquels les mères crient pour leurs bébés, et où je les regarde mourir dès qu’elles ne sont plus utiles à la recherche.

Ce que vivent les rats de laboratoire femelles est similaire à celui des animaux femelles dans presque toutes les industries animales – viande et produits laitiers inclus. Les vaches laitières, par exemple, sont fécondées de force par un dispositif connu dans l’industrie sous le nom de « râtelier à viol ». Les éleveurs lui enfoncent un bras dans le vagin pour l’inséminer, et utilisent leur autre bras dans le rectum pour guider le processus. Lorsqu’elle accouche, son bébé lui est enlevé pour que son lait puisse être donné aux humains. Les vaches laitières, qui ont une période de gestation similaire à celle des humains, passent par ce processus plusieurs fois dans leur vie avant d’être « utilisées » jusqu’à épuisement et de devenir elles-mêmes un « morceau de viande ».

La consommation de lait de vache (ou de chèvre, ou de tout autre lait non humain) est une consommation de violence sexuelle. Tout comme l’achat de pornographie paie le viol des femmes et des filles, l’achat de lait paie le viol de femelles non humaines et soutient un système patriarcal où les corps des femelles sont considérés comme une marchandise destinée à l’exploitation.

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Même pour celles et ceux qui choisissent délibérément d’exclure les animaux non humains de leur considération morale, il faut bien comprendre que ce qui arrive aux femelles non humaines peut arriver, et arrive, aux femmes et aux filles humaines. Dans l’industrie du lait humain, les femmes racisées des pays en développement ne reçoivent que quelques centimes pour leur lait maternel, qui est revendu aux femmes dans des pays comme les États-Unis à un prix huit fois supérieur, selon un article de la militante féministe Julie Bindel paru en 2017 dans Truth Dig. Les enfants de ces femmes sont mal nourris, et les femmes souffrent de complications douloureuses semblables à celles des vaches laitières :

« Ce que le commerce du lait maternel nous dit, c’est que le capitalisme a bouclé la boucle comme il ne l’avait jamais fait auparavant, pas même avec le marché de la prostitution. Le but premier du commerce est de nourrir nos enfants, mais le prix de ce marché impose que les enfants ne soient pas nourris en premier lieu. »

Ce n’est pas le seul exemple d’exploitation animale qui revient à nuire aux femmes humaines. Raymond explique comment l’industrie de l’exploitation animale a ouvert la voie à la Fécondation In Vitro et à la Gestation Pour Autrui, toutes deux considérées par les féministes comme des formes de violence sexuelle à l’égard des femmes :

« Jacques Testart, papa laboratoire du premier bébé FIV français, Amandine ; directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale à Paris ; et maintenant figure de l’éthique médicale pour avoir renoncé à ses propres recherches sur la FIV humaine, a commencé sa carrière comme biologiste animalier. Il a commencé en tant qu’expert de la superfécondation des bovins et du transfert d’embryons génétiquement sélectionnés dans des vaches mères porteuses. Après avoir quitté la ferme, il est venu dans la grande ville de Paris et a commencé à appliquer ses recherches sur les animaux aux femmes.

De même, Alan Trounson, de renommée australienne en matière de FIV, a commencé son travail comme embryologiste spécialisé en moutons. Il a ensuite appliqué ces connaissances au traitement de la FIV humaine. Dans un retour aux sources spectaculaire, Trounson a appliqué ce qu’il avait appris sur les femmes avec l’équipe de FIV de Monash et utilise maintenant une technologie similaire pour élever des chèvres. »

La violence sexuelle que subissent à la fois les femmes et les animaux non humains n’est pas seulement de nature sexuelle, mais aussi spécifique au sexe. Selon Mme Adams, la viande est souvent associée culturellement à la « virilité », ou à la masculinité. Ce lien est à bien des égards d’évidence culturelle : le steak est la nourriture des hommes, la salade est la nourriture des femmes. Les hommes qui se dérobent à leur devoir de mangeur de viande sont considérés comme efféminés et émasculés. Le terme moderne utilisé par les hommes de droite pour désigner les hommes libéraux, « soy boy », démontre le lien perçu entre le renoncement à la viande et l’émasculation par le féminisme, où les hommes sympathisants sont perçus comme des « cocus ». Les légendaires rôles traditionnels de « chasseur » et de « cueilleur » doivent être conservés. C’est probablement la raison pour laquelle les hommes végétaliens et végétariens sont plus fortement détestés que les femmes végétaliennes et végétariennes – parce qu’ils agissent de manière non conforme au genre, et la non-conformité au genre doit être punie pour maintenir le patriarcat.

Dans « Sexual Politics », Kate Millet affirme que « les sociétés patriarcales associent généralement les sentiments de cruauté à la sexualité ». De fait, la cruauté de l’industrie de l’agriculture animale est considérée comme faisant partie de l’attractivité en patriarcat, où violence égale pouvoir.

Adams écrit que la consommation de viande est devenue intimement liée aux hiérarchies du pouvoir et de l’oppression :

« De tout temps les détenteurs du pouvoir ont toujours mangé de la chair. L’aristocratie européenne engloutissait des repas gigantesques débordant de toutes sortes de viandes, alors que le prolétariat se sustentait de glucides complexes. Les habitudes alimentaires dénotent non seulement les distinctions de classe, mais également les démarcations d’ordre patriarcal. Les femmes, en tant que citoyennes de seconde zone de la société, sont davantage susceptibles de manger des denrées considérées comme des aliments de seconde catégorie par une culture patriarcale : légumes, fruits et céréales plutôt que viande. Le sexisme présent dans la consommation de viande résume les distinctions de classe en y ajoutant une touche particulière : une mythologie, répandue dans toutes les classes, voulant que la chair soit un aliment masculin et que manger de la viande constitue une activité masculine. »

Elle poursuit en affirmant que cette hiérarchie alimentaire a même été utilisée pour imposer des hiérarchies raciales. La viande était considérée comme nécessaire pour les « travailleurs intellectuels » et, comme les populations racisées et les femmes n’avaient pas besoin d’utiliser leur cerveau, elles n’avaient pas besoin de viande et ne la méritaient pas. Il n’est donc pas surprenant que les hommes issus de cultures où la viande est moins centrale dans le repas soient souvent perçus par les populations blanches comme moins masculins.

La réaction féministe à ces politiques sexuelles de la viande est divisée : d’un côté, de nombreuses femmes tentent de s’identifier au rôle masculin en adoptant une consommation importante de viande et d’autres fonctions liées à la viande, telles que le dépeçage et le barbecue. De l’autre coté, de nombreuses féministes ont noté les liens entre la souffrance des animaux non humains et leur propre oppression, et ont choisi de résister aux deux.

Les critiques féministes concernant le véganisme reposent souvent sur l’hypothèse que, parce que la consommation de viande est masculine dans notre culture, la revendiquer est un acte féministe puisqu’il s’agit d’un acte de non-conformité au genre. La non-conformité au genre est un puissant moyen d’abattre les barrières que le patriarcat a placées sur les femmes, et elle a souvent un coût personnel élevé. Mais, en adaptant les comportements des femmes à la norme masculine de violence, l’adhésion féministe à la consommation de viande ne fait que perpétuer l’inégalité plus large : la marchandisation de la reproduction des femelles et le refus de leur autonomie physique et reproductive. En tentant de s’identifier à l’attitude patriarcale envers la viande, les féministes compromettent les objectifs fondamentaux du féminisme en échange d’une victoire de surface.

En fait, puisque le véganisme et le végétarisme sont largement féminins, comme la plupart des autres pratiques féminines, c’est précisément pour ça qu’ils sont dévalorisés par la société. Le travail de soins et de guérison effectué par les femmes est toujours dévalorisé dans le patriarcat, qu’il s’agisse de travail rémunéré ou non. En dénigrant le travail des féministes véganes de se soucier d’autrui, les femmes qui ont choisi d’adopter le point de vue masculin se retrouvent à perpétuer le même schéma de dévalorisation du rôle de soins des femmes. La violence est masculine, et la guérison est féminine. La violence est glorifiée par des médailles et des défilés, et la guérison est un travail sous-payé. La destruction est masculine, tandis que la création est féminine. Les hommes utilisent leur pouvoir pour détruire la vie et des vies, et les femmes utilisent leur pouvoir pour donner la vie et créer à nouveau, même face à la violence masculine endémique. Choisir la destruction et la violence plutôt que la guérison et la création dans un monde patriarcal, où le pouvoir des femmes est à la fois sous-estimé et tant redouté qu’il doit être étroitement contrôlé, n’est pas un acte féministe.

La sensibilité des animaux non-humains est une question morale que les personnes préoccupées par les droits des individus doivent prendre en considération. Des livres entiers peuvent être, et ont été écrits sur ce sujet. L’éthique des droits des animaux, de l’antispécisme et de leur libération n’est pas nécessairement sexuée : tous les humains ont l’obligation de faire ce qui est juste, et tous les êtres sensibles méritent une considération morale, quel que soit leur sexe.

Oui, il est injuste que les femmes soient largement chargées de la responsabilité des soins. Cependant, la façon dont les corps femelles sont réifiés et maltraités sous le patriarcat capitaliste crée une sororité entre les femelles humaines et non humaines, et il est impossible d’aborder le contrôle masculin des corps féminins sans aborder les industries de l’exploitation animale, qui sont construites sur le dos (ou l’utérus, pour ainsi dire) des femelles. Nous ne pouvons pas espérer éliminer l’objectivation des femmes et des filles et la violence à leur égard, alors que l’objectivation et la violence contre les corps femelles sont le moteur de notre économie, nourrissant nos enfants et contentant nos hommes. Les femmes ne sont, pour les hommes, que des animaux – des « morceaux de viande ». La condition du statut des animaux, par conséquent, conditionne le statut des femmes et des peuples racisés qui ont été animalisées par des présupposés sexistes et racistes d’intelligence, de capacité à ressentir la souffrance et de proximité avec l’idéal de l’homme blanc touché par la grâce de dieu.

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Les critiques concernant le véganisme donnent souvent la priorité à une autre notion que celle de la réappropriation de l’autonomie physique, qui est au centre du féminisme. Par exemple, les critiques environnementales du véganisme, telles que celles posées par la féministe anciennement végane Lierre Keith dans « Le mythe végétarien », sont ancrées dans la nostalgie d’une époque révolue de l’éco-pureté, plutôt qu’ancrées dans n’importe quel cadre éthique pertinent. Lorsqu’elle décrit les raisons pour lesquelles elle a écrit ce livre, elle déclare :

« Je veux une analyse complète, une analyse qui va bien au-delà de ce qui est mort dans votre assiette. Je parle de tout ce qui est mort au cours du processus, tout ce qui a été tué pour mettre cette nourriture dans votre assiette. C’est la question la plus radicale, et c’est la seule question qui produira la vérité. Combien de rivières ont été endiguées et drainées, combien de prairies ont été labourées et de forêts abattues, combien de terre arable s’est transformée en poussière et a été transformée en déserts ? Je veux connaitre toutes les espèces – pas seulement les individus, mais l’ensemble de l’espèce – le saumon, le bison, les moineaux sauterelles, les loups gris. Et je veux plus que juste le nombre de morts et de disparus. Je veux qu’ils reviennent. »

Il n’y a rien d’intrinsèquement éthique à préserver « l’environnement ». L’environnement est une source de souffrances de masse pour des milliers de milliards d’individus. Si la souffrance est la considération morale de base, la préservation de « l’environnement » ne devient qu’un moyen pour atteindre une fin – amoindrir de futures souffrances en prévenant celles qui résulteraient d’un effondrement de l’environnement. Les espèces, elles aussi, n’ont aucune valeur morale propre, et leur existence ou non n’est pertinente que par rapport à la souffrance causée par leur perte (tant pour les individus de cette espèce que pour ceux qui sont touchés par leur disparition).

Keith poursuit : « La réalité est que l’agriculture a créé une perte nette pour les droits humains et la civilisation : esclavage, impérialisme, militarisme, divisions de classe, faim chronique et maladie. »

Tout cela est peut-être vrai. En fait, de nombreux anthropologues s’accordent à dire que c’est le cas. Il est intéressant, cependant, que Keith oublie en quelque sorte le « sexisme » dans sa liste de violations des droits humains. Pour une féministe active, cette omission n’est pas un accident. Si l’agriculture humaine a pu intensifier le problème, il est prouvé que la domination masculine est antérieure non seulement à l’agriculture, mais aussi à notre espèce dans son ensemble. Tenter de dépeindre le patriarcat comme le résultat des « progrès » modernes est anthropocentrique et ignore l’oppression que nos grands-mères évolutionnaires ont subie dans leur propre espèce. Selon Keith, il est « inutile » d’en discuter. Elle passe trois pages à expliquer que nous devons mettre fin à la masculinité violente, mais ces pages se trouvent dans 300 autres qui se donnent beaucoup de mal pour lui trouver des excuses. En fin de compte, elle décide que cela « n’a pas d’importance ». En déplaçant son attention d’un cadre éthique féministe à un cadre basé sur la glorification de l’hédonisme personnel, Keith fournit une justification pour son propre comportement. Elle le fait en s’appuyant sur une autre critique courante du véganisme : la santé.

Keith admet qu’elle est tombée malade alors qu’elle était végétalienne, et que c’est ce qui a effectivement conduit à ne plus être végétalienne. Tous le discours sur l’agriculture, sauver la planète, la destruction de l’environnement, etc. ne servent qu’à cacher ses propres problèmes de santé. Elle insiste sur le fait que toute personne qui est végétalienne à long terme tombera malade et sera « endommagée ». Étant donné les nombreuses végétaliennes de longue date que je connais et qui vont parfaitement bien, et mes propres sept années sans viande, les affirmations exagérées de Keith sont facilement réfutées.

Pourtant, une fois de plus, les discussions sur la « santé » en rapport avec le véganisme ignorent largement, ou omettent intentionnellement, les effets sur la santé que les femmes subissent lorsqu’elles sont privées d’autonomie physique (incluant la mort). Prendre un complément alimentaire de B12 de temps en temps est considéré comme un compromis inconcevable pour mettre fin au viol, au vol de bébés, à la torture et au meurtre d’individus féminins de toute espèce, même humaine. Les féministes connaissent les effets de la violence masculine sur la santé physique et mentale des femmes (et des autres hommes, des animaux et de la planète). Tenter de résoudre les problèmes de « santé » tout en maintenant un contrôle patriarcal sur les moyens de reproduction est donc intellectuellement malhonnête pour toute féministe, et le contrôle masculin des femmes est nécessaire pour que la consommation de viande existe à grande échelle. Même si vous ne vous souciez vraiment que des humains, ce qui arrive aux femelles non humaines finit par se répandre aux femelles humaines, comme nous l’avons vu précédemment.

Keith semble heureuse d’aborder le sexisme quand cela va dans le sens de son discours, par exemple en soulignant le sexisme et les publicités pornographiques que PETA utilise pour attirer l’attention. C’est un véritable problème dans le mouvement, et il est enraciné dans la politique sexuelle de la viande qu’Adams expose. Attaquer PETA en tant que représentant du mouvement pour les droits des animaux dans son ensemble est un argument de l’homme de paille, mais les erreurs de logique de Keith ne s’arrêtent pas là. Elle attribue le suicide d’une de ses amies, qui était victime de violences masculines, au fait qu’elle était végétalienne :

« Mon cercle d’amis a vécu un suicide dramatique, et oui, elle était une survivante, mais ne l’étions nous pas toutes ? Elle était également végétalienne. Son humeur s’est dégradée, passant de la dépression et des accès de colère à des crises paranoïaques, jusqu’à ce qu’elle se suicide. »

Ceci est la crème de la crème du rejet de la faute sur les victimes. Le problème n’était pas la violence masculine, mais son régime alimentaire.

Soyons clairs : les victimes de violence ne se suicident pas parce qu’elles sont végétaliennes. Ayant perdu ma propre mère à la suite d’un suicide lié à la violence masculine dans sa propre vie (vraiment non végétalienne), je peux vous garantir que manger de la viande ne sauvera pas les femmes.

Ce message épouvantablement anti-féministe venant d’une militante se disant féministe peut paraître choquant, mais quand on se rappelle que les féministes anti-véganes s’alignent sur la pensée masculine, ce n’est pas surprenant après tout. Justifier la violence contre les femmes devient une seconde nature quand on passe toute la journée à essayer de justifier la violence contre les animaux. Les femmes ne sont rien d’autre que des animaux, des « morceaux de viande ». Tout comme les hommes ont le droit divin et naturel de contrôler les femmes, les humains ont le droit divin et naturel de contrôler les autres espèces. Ce fil conducteur spirituel-devenu-violent est commun à toutes critiques à la fois des droits des femmes et des animaux.

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Le véganisme ne mettra pas, à lui seul, fin au patriarcat et ne sauvera pas la planète d’une destruction imminente. Il y a vraiment de grands problèmes à résoudre, et je suis d’accord avec Keith pour dire qu’il n’y aura rien de moins qu’une restructuration totale de nos systèmes alimentaires pour commencer à les résoudre. Mais ce que fait le véganisme, en revanche, c’est de faire reconnaître le référent absent, la violence inhérente à nos systèmes et le rôle auquel les corps féminins sont relégués dans le patriarcat. Personne, humaine ou non, ne devrait être soumise à la perte de son autonomie physique et de sa liberté. Les féministes devraient le comprendre plus que les autres, et les efforts féministes anti-véganes sous couvert de « nature » ou de « choix personnel » échouent de la même manière que les arguments libéraux de la violence contre les femmes échouent.

Le lien entre véganisme et féminisme n’est pas simplement le produit de la sensiblerie moderne, comme certains l’accusent, ou de l’essor de l’agriculture industrielle qui a exacerbé tous ces problèmes. Les féministes sont depuis longtemps conscientes de ce parallèle, et des femmes comme Asenath Nicholson (1792-1855), Louisa May Alcott (1832-1888), Anna Kingsford (1846-1888) et Margaret Damer Dawson (1873-1920) ont posé les bases pour nous il y a des siècles. Plus récemment, des leaders des droits civiques comme Coretta Scott King et Angela Davis ont fait le même rapprochement et ont utilisé leurs plateformes pour plaider en faveur d’une restructuration radicale de nos systèmes alimentaires et de nos relations avec les autres espèces.

Reconnaître la souffrance des animaux non humains ne diminue en rien notre combat pour les droits des femmes. Au contraire, tant que les femmes sont déshumanisées, animalisées et objectivées, le rôle des autres animaux dans le monde est profondément pertinent à pour les femmes et les filles humaines. il s’agit là du lien entre véganisme et féminisme.

M.K. FAIN

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